Présentation

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Le laboratoire d’histoire des théories linguistiques a été créé en 1984 (URA 381 du CNRS, dir. : J.-C. Chevalier) ; il a été renouvelé en 1988 (dir. : J.-C. Chevalier) et en 1992 (dir. : S. Auroux), puis a été transformé en UMR (Unité Mixte de Recherche 7597, CNRS/Université Paris VII/ENS Lettres et Sciences Humaines, Lyon) en 1997. Ses tutelles actuelles sont le CNRS, l’Université Paris Diderot et l’Université de la Sorbonne Nouvelle (depuis 2009). La direction du laboratoire est assurée par Anne Grondeux (DR CNRS, directrice depuis janvier 2019, succédant à Emilie Aussant) et Jean-Marie Fournier (PU Univ. de la Sorbonne Nouvelle, directeur adjoint).

1) Les objectifs du laboratoire

Le laboratoire est le lieu d’élaboration et de diffusion des recherches sur l’histoire des conceptions du langage et des langues. Il couvre de nombreuses aires culturelles et rassemble principalement des linguistes, spécialistes de langues variées ( allemand, anglais, arabe, espagnol, français, grec, hébreu, italien, islandais, khaling rai, koyi rai, langues slaves, latin, malayalam, persan, portugais du Brésil, sanskrit, syriaque, tagalog, tamoul, thulung rai), ainsi que des historiens et des philosophes.

Au plan international, le laboratoire est au cœur d’un dispositif qu’il a contribué à créer et qu’il s’attache à faire vivre et prospérer. Ses principales coopérations sont menées avec l’Allemagne (Centre for the Study of Manuscript Cultures d'Hambourg, Université de Potsdam), l’Australie (Univ. de Sydney), le Brésil (Univ. de Sao Paulo, de Campinas, Univ. Mac Kenzie), l’Espagne (Univ. de Salamanque, de Barcelone), les États-Unis (Univ. d’Illinois à Urbana Champaign), l’Inde (EFEO, Institut Français de Pondichéry, IIT Bombay), l’Italie (Univ. La Sapienza, Univ. de Brescia, de Salerne, de Cosenza, de Palerme, la Scuola Normale de Pise), le Royaume Uni (Univ. de Cambridge, d’Oxford, de Sheffield), la Russie (Académie des Sciences, Univ. de Moscou, Univ. de Saint-Pétersbourg), la Slovénie (Univ. de Novy Sad), l’Ukraine (Univ. de Kharkiv). La revue HEL est l’une des quatre principales revues mondiales dans le domaine avec Historiographia linguistica (John Benjamins), ainsi que les BGS (Münster) et Language & History (Londres).

De manière générale, l’activité du laboratoire HTL s’organise autour de trois objectifs :

De manière plus spécifique, les opérations dans lesquelles s’impliquent (pilotage, participation) les membres de l’équipe s’articulent autour de trois directions complémentaires :

2) Les résultats du laboratoire

Par « résultat » en histoire des théories linguistiques, nous entendons :

Des résultats significatifs ont été obtenus, tant au niveau des productions numériques [CGL, CTLF, Grammatici Latini, DHTL, Libgloss…], que des publications papier. Quelques résultats majeurs de la période 2012-2017 :

A) Cinq publications majeures

1. S. Archaimbault, J.-M. Fournier et V. Raby (éds.), Penser l'histoire des savoirs linguistiques. Hommage à Sylvain Auroux, Lyon, ENS éditions, 2014, coll.: Langages (716 p.)

Réunies en hommage à Sylvain Auroux, philosophe et historien des sciences du langage, les 50 contributions de ce volume émanent de spécialistes de langues diverses et/ou de périodes historiques différentes. Elles illustrent chacune un pan du travail de l’historien des sciences du langage en mobilisant le très riche appareil conceptuel qu'il a élaboré : décrire des théories, étudier les circonstances d’apparition des disciplines consacrées au langage et aux langues, retracer des évolutions, mesurer l’impact de ces réflexions sur le développement culturel et humain.

2. B. Colombat et A. Lahaussois (dir.), Histoire des parties du discours, Leuven, Peeters, Orbis/Supplementa, à paraître (env. 800 p.)

Les travaux menés depuis de nombreuses années dans le cadre du DHTL (cf. 2, Programme transversal 1 CTLF-DHTL) ont abouti à l’élaboration de ce livre. Composé de 15 chapitres, cet ouvrage est consacré à l’histoire des classes de mots dans la tradition occidentale depuis l’antiquité grecque jusqu’au début du XXe s., en passant par l’antiquité et le Moyen-Âge latin. Y sont examinées également les parties du discours dans la tradition arabe et la tradition sanskrite. Le livre vise à renouveler la vision de ces concepts, apparemment familiers, mais dont l’élaboration est en fait très complexe, en la plaçant dans la perspective de l’histoire longue.

3. É. Aussant (ed.), La traduction dans l’histoire des idées linguistiques, représentations et pratiques, Paris, Geuthner, 2015 (276 p.)

Ce volume, issu d'un programme de recherche collectif mené sur quatre ans, rassemble 12 contributions. Le “traduire” y est abordé dans une approche à la fois épistémologique et transculturelle, double perspective très peu exploitée jusqu'alors. La spécificité de l'appréhension du “traduire” par les théoriciens du langage, peu étudiée elle aussi, y est analysée de manière approfondie, à travers des études de cas variées.

4. F. Cinato, L’ars grammatica de Priscien vue à travers les gloses carolingiennes, Turnhout, Brepols, 2015 (753 p.)

Ce volume constitue la première monographie consacrée à l’étude des gloses portées par les plus anciens manuscrits de la grammaire de Priscien. La plupart du matériel publié au fil des pages est inédit. Synthèse et « état de la question » touchant à la réception carolingienne de Priscien, le volume s’attache à dégager les étapes de sa réception dans les monastères, d’abord sous l’angle des livres qui la transmettent, puis de celui des maîtres qui les ont utilisés, dévoilant ainsi le contexte pédagogique et le milieu culturel. A cet effet, les gloses, qui constituent des témoignages fondamentaux, font l’objet d’une triple enquête : typologique, textuelle et historique. 5. N. Riemer (ed.), The Routledge handbook of semantics, Abingdon, Routledge, 2016 (534 p.)

L’ouvrage, consistant en une trentaine de chapitres rédigés par une équipe internationale, dresse le bilan de la recherche sémantique contemporaine, abordée à partir d’une perspective non seulement descriptive, mais également épistémologique et historique. Les divers courants disciplinaires sont représentés à titre égal dans deux buts principaux : dépasser le clivage formel/cognitif-fonctionnel et permettre aux chercheurs d’accéder à une synthèse critique des recherches sur la signification, éclairées par les apports les plus actuels des disciplines connexes.

B) Six documents majeurs

1. Corpus des Textes Linguistiques Fondamentaux (Resp. B. Colombat) Le CTLF (http://ctlf.ens-lyon.fr/default.htm) est un portail encyclopédique conçu pour donner l’accès aux grands ouvrages de la linguistique depuis ses origines. Il est en constante évolution. Il se compose de 5 sites : (1) des notices descriptives (702 notices) ; (2) une bibliographie spécialisée (4237 références) ; (3) des textes en mode image (170 ouvrages) ; (4) des textes en mode texte (765 textes représentant 65 483 p.) ; (5) un ensemble d’articles traitant du domaine. Il est associé à un site connexe, Frantext-CTLF (http://www.frantext.fr/ctlf/) qui permet de faire des recherches combinées dans l’ensemble de ces textes. La base est largement exploitée dans le monde entier (cf. les statistiques fournies par Google Analytics) par ceux qui s’intéressent au développement des théories linguistiques.

2. Édition critique électronique du Liber Glossarum (http://liber-glossarum.huma-num.fr/index.html), ERC LibGloss (Resp. A. Grondeux)

Le projet LibGloss (ERC StG 263577), piloté par A. Grondeux, avec la collaboration de F. Cinato, s’est déroulé de 2011 à 2016. Le financement ERC a permis de mettre en place une équipe qui, en cinq ans, a produit une édition électronique du Liber glossarum et de ses 56.000 entrées, qui est aujourd’hui accessible en ligne sur le site http://liber-glossarum.huma-num.fr/.

3. Les Notae Dunelmenses (Durham C.IV.29). Priscien lu par Guillaume de Champeaux et son école, A. Grondeux, I. Rosier-Catach (eds.), Turnhout, Brepols, 2017 (2 vols, 1200 p.)

Ces deux volumes sont l’aboutissement de près de dix ans de recherches, qui ont donné matière à de nombreux articles et communications, en France et à l’étranger. Le second donne l’édition critique d’un ensemble de notes sur Priscien, dont plusieurs sont attribuables à Guillaume de Champeaux. Guillaume est le premier maître des écoles parisiennes et le « précepteur » d’Abélard, connu jusque-là presque uniquement par des mentions secondaires et indirectes. Le premier volume est une introduction historique et doctrinale, qui vise à reconstruire son enseignement, son école, à identifier ses disciples. Ce travail montre l’importance de cet enseignement, non seulement pour comprendre les théories logicolinguistiques d’Abélard, mais aussi pour l’histoire de la sémantique en général, à partir de l’étude de thèmes essentiels (la prédication, le verbe être, les syncatégorèmes, la distinction entre signification et référence, l’adjectif et la paronymie).

4. Mauger, Claude (1688) Grammaire française / French Grammar, éd. critique par V. Raby, Garnier, 2014 (651 p.)

Ce manuel de français à destination des Anglais a connu une diffusion remarquable en Angleterre, en France et aux Pays-Bas entre 1653 et la fin du XVIIIe s. Trilingue (latin, français, anglais), il participe à l’extension du modèle grammatical latin par la confrontation des langues. Cette édition inaugure la collection « Descriptions et théories de la langue française ».

5. Site TUL Quest (Resp. A. Lahaussois)

Élaboré avec le soutien de la FR Typologie et Universaux Linguistiques, ce site (http://tulquest.humanum.fr/ ) est une archive de questionnaires typologiques rassemblés dans l'optique d'une analyse épistémologique de ces outils descriptifs, inexistante à ce jour. Le site est ouvert avec deux accès possibles : l'un permettant à des utilisateurs externes d'enrichir la base par l'ajout de questionnaires (avec métadonnées et documents associés), l'autre de consulter l'archive à partir d'une taxonomie détaillée des outils qui s'y trouvent.

6. Modélisations et sciences humaines. Figurer, interpréter, simuler, C. Blanckaert, J. Léon et D. Samain (dir.), Paris, L’Harmattan, 2016 (468 p.)

Cet ouvrage rassemble une sélection de communications au colloque SHESL-HTL organisé en 2014, en collaboration avec le Centre Koyré. Son originalité est de proposer une réflexion à la fois historique et épistémologique sur les modèles et la modélisation dans un éventail délibérément large, mais documenté, des sciences du langage et des sciences de l’homme (linguistique, histoire de la grammaire, philosophie du langage, mais aussi géographie, psychologie, économie, histoire de l’art, etc.). En ouvrant un espace commun pour ces disciplines, il ne se limite pas à suivre leurs interactions éventuelles (transferts, similitudes, etc.), mais initie simultanément une interaction entre l’histoire des sciences du langage et l’histoire des sciences humaines et sociales.

3) Les principes et méthodes du laboratoire

Les buts que s’assigne le laboratoire, les résultats qu’il obtient sont le fruit de la mise en œuvre de quelques principes méthodologiques qui ont émergé au cours des travaux accomplis ces dernières années. Ces principes sont partagés par ses membres qui les adaptent librement à la diversité de leurs objets d’étude.

- On considère que l’histoire des idées linguistiques repose sur le postulat d’une commensurabilité des représentations du langage et des langues dans le temps et l’espace, qu’il s’agisse de descriptions empiriques, de grammaires prescriptives ou de théorisations plus « spéculatives ».

- C’est cette commensurabilité (à construire à partir d’une expertise spéciale) qui doit permettre d’évaluer au plus juste constantes et changements, traditions et événements, ruptures et continuités quelles que soient les périodes étudiées (de l’Antiquité à la modernité la plus contemporaine), et quel que soit le degré de proximité ou d’éloignement relatif (géographique et culturel) des traditions considérées.

- Il en découle une conception exigeante de la temporalité historique : le passé n’est pas l’histoire, le temps n’est pas un simple « milieu », les « régimes d’historicité » des idées linguistiques sont des constructions (toutes ne se valent pas) qui doivent être mises et remises à l’épreuve.

- Dans ce cadre, l’érudition apparait comme une condition absolument nécessaire mais jamais suffisante de l’activité de l’historien. De nombreux domaines de l’histoire des représentations du langage et des langues demandent encore à être systématiquement documentés, et de manière fiable. L’enquête philologique la mieux éprouvée, la constitution de corpora selon les techniques les plus modernes sont donc indispensables. Mais ce qui leur donne du sens, c’est la visée épistémologique. Ce qui revient à dire que les méthodes de l’équipe s’inscrivent librement dans la tradition de l’épistémologie historique, de l’histoire des sciences.

L’histoire des idées linguistiques ne constitue donc pas un « cabinet de curiosité » ou un magasin d’antiquités recueillant pour les exhiber des faits pittoresques, mais définitivement périmés. Nous pensons que l’activité historienne assume une responsabilité et une finalité globales vis-à-vis des sciences du langage «en train de se faire» : leur assurer une connaissance historique qu’on ne rencontre jusqu’à présent que dans les sciences de la nature et les disciplines formelles, lesquelles bénéficient des retombées de cette situation, tant pour leur reconnaissance que pour leur gestion, leur réflexion épistémologique, leur didactique et la formation des chercheurs.

Enfin, on pourrait fort bien concevoir que l'édition d'un traité d'un grammairien grec soit le fait d'une équipe de philologues qui travaillent également sur les tragiques, que les rapports entre grammaire et théologie au Moyen-Âge soient étudiés par une équipe de philosophes, que l'étude des rapports entre les conceptions de la langue et de la nation soit menée par des historiens des idées, que des linguistes travaillant sur tel ou tel sujet investissent une partie de leur temps pour constituer une information historique, etc. Mais un effort éclaté serait probablement moins intéressant que le cadre d'unité et de coordination que le laboratoire s’efforce de favoriser constamment dans une perspective de dialogue régulier avec les autres disciplines. C’est ce cadre qui, selon les membres de l’équipe, doit permettre de faire exister véritablement un domaine (ses concepts et ses pratiques) propre aux sciences du langage dans la durée de l'histoire.